Compte rendu du colloque : « Environnement économique et politique de la création »

Le développement de l’internet haut débit dans les foyers a entraîné de nouveaux modes de consommation des biens culturels. Il s’agit donc de savoir si les modèles économiques actuels, en rapport avec les œuvres multimédias, doivent évoluer pour s’adapter à ces nouveaux modes d’échange. C’est dans ce contexte que Daniel Kaplan (FING), Olivier Bomsel (CERNA) et Laurent Gille (EGSH) apportent des éléments de réponse économiques et politiques.

Daniel Kaplan débute en décrivant l’omniprésence de la musique dans la société actuelle, le flux continu de mélodies a pour conséquence de vulgariser ce produit culturel. La transformation de produits en service est une pratique généralisée des consommateurs afin de leur assurer un gain de temps. Notre société va vers une demande de commodité, mais les industries culturelles sont dans un contresens marketing en livrant une guerre à leurs clients potentiels. D’un autre côté, le Peer To Peer (P2P), favorisé par un grand nombre de consommateurs pour la recherche d’œuvres musicales, peut représenter, un produit de mauvaise qualité. En effet, les recherches y sont parfois fastidieuses, longues, certains fichiers sont accompagnés de virus. Néanmoins, les utilisateurs des logiciels P2P restent satisfaits par le foisonnement des œuvres, l’interopérabilité des formats et une certaine gratuité. Les services payants de musique en ligne qui les concurrencent sont boudés par un grand nombre de consommateurs, alors que la qualité du service et le gain de temps sont reconnus. Il convient donc d’améliorer ces systèmes, avec notamment un packaging intéressant, afin de les démarquer de l’échange des simples données brutes des réseaux P2P gratuits. Il s’agit également de valoriser le stock, les catalogues ; d’avoir des intermédiaires qui accompagnent réellement cette transformation de la vente de musique avec ces nouvelles demandes.

Olivier Bomsel développe ensuite deux modèles économiques pour les rapprocher de la problématique de l’internet. Il rappelle l’évolution de la chaîne de production du cinéma en insistant sur le manque d’intérêt économique actuel du passage de l’argentique au numérique pour les salles de diffusion. Les politiques industrielles prennent en compte plusieurs facteurs pour assurer leur évolution, Il faut que les mutations technologiques, qui ont un coût certain, soient réellement nécessaires et permettent un développement économique proportionnel pour les industries.

M. Bomsel explique également le système économique des téléphones portables qui financent les téléphones fixes, le déploiement d’un réseau est, dans ce cas, financé par un autre. Alors que pour l’internet, son déploiement est subventionné d’une manière indirecte, les contenus détournés par le P2P permettent la promotion du net. Les industries culturelles subissent un préjudice réel même si ce mode d’échange gratuit n’est pas le seul responsable de la baisse de vente de disc. Il y a un effet de pollution des nouveaux marchés de distribution en ligne payants par le P2P.

Les vrais gagnants dans cette affaire sont les FAI et les auteurs de ces logiciels de partage. L’autre conséquence néfaste du P2P est le non respect de la chronologie des médias, alors que ces médias sont un moyen de protéger l’identité culturelle d’un pays. Cela oblige chaque protagoniste à camper sur ses positions et ne favorise pas l’évolution. Une vision plus conservatrice de la politique industrielle doit se développer avec notamment la défense des intérêts nationaux par rapport aux œuvres multimédias.

Enfin, Laurent Gille réfléchit sur l’apport de l’économie numérique. Il faut, en premier lieu, aborder la question des contenus différemment de ce qui a été fait jusqu’à présent. Il s’agit pour toutes les parties prenantes de rechercher un avantage économique maximal, en sachant qu’actuellement le surplus économique est pris par les industries culturelles. Le consommateur ayant une idée floue de ce qu’il va acquérir, les industries doivent donc alimenter le marché avec une connaissance réelle de ce produit. C’est pourquoi une définition des caractéristiques économiques des biens informationnels s’avère nécessaire.

L’internet accroît la non rivalité des biens et fragilise les business model classiques. Pour recréer cette rivalité il est possible d’agir sur le plan juridique grâce à la propriété intellectuelle ou sur le plan technique grâce aux DRM. Les nouveaux médias ont toujours créé de nouveaux contenus et de nouveaux rapports avec ces contenus. L’internet se démarque par le développement d’une communauté de personnes. Le P2P est, dans ce contexte, une technologie qui permet d’échanger des fichiers et pas seulement des contenus illicites, il faut donc différencier cette technologie des problèmes du contenu. Il s’agit également de savoir si le P2P représente un moyen d’échange ou de partage. La méthode du partage, plus ancienne que l’échange, évite la monétarisation des rapports. Ce phénomène a été pris en considération par différents pays dont la France (avec le mécanisme de copie privée) et les Etats Unis (avec le fair use). Cependant les dérives actuelles de la propriété intellectuelle entraînent une extension du droit à l’usage unique individuel ou le paiement à l’usage. Le fait de vouloir tout verrouiller risque d’entraîner les consommateurs dans l’illégalité. D’un autre côté, le « tout gratuit » n’est pas non plus une solution acceptable.

Il convient de restructurer le marché en profitant des nouvelles technologies qui se créent sur le réseau. Il faut laisser aux industries culturelles le temps pour que de nouveaux modèles économiques apparaissent. Des pertes seront inévitables, mais cela a toujours été une conséquence de l’apparition de nouvelles technologies. Les structures économiques actuelles doivent évoluer sans se figer par rapport aux modèles classiques. Il conviendrait, dans ce contexte, de recentrer la fonction éditoriale pour financer la création avec les nouvelles modalités permises par l’internet et la baisse des coûts de diffusion. Il faut également prendre acte que ce réseau mondial va détruire la rivalité des produits culturels, donc tenter de réintroduire cette rivalité dans le réseau serait inefficace. Les solutions visant à détruire le potentiel des communautés créées par le net, comme la taxation de l’upload, ne semblent pas opportunes ; par contre, une taxe fixe sur l’abonnement aux FAI est envisageable. Il faut faire des pirates d’aujourd’hui les clients de demain, tout en libérant la diffusion et en conservant les communautés de l’internet.

Il conviendrait, dans ce contexte, de recentrer la fonction éditoriale pour financer la création avec les nouvelles modalités permises par l’internet et la baisse des coûts de diffusion. Il faut également prendre acte que ce réseau mondial va détruire la rivalité des produits culturels, donc tenter de réintroduire cette rivalité dans le réseau serait inefficace. Les solutions visant à détruire le potentiel des communautés créées par le net, comme la taxation de l’upload, ne semblent pas opportunes ; par contre, une taxe fixe sur l’abonnement aux FAI est envisageable. Il faut faire des pirates d’aujourd’hui les clients de demain, tout en libérant la diffusion et en conservant les communautés de l’internet.

Colloque : « Environnement économique et politique de la création » organisé par « Les Temps Nouveaux » à l’Assemblée Nationale, le 10 mai 2004.

Par Johann FLEUTIAUX, le 8 juillet 2004