Compte rendu du colloque : « Droit d’auteur et numérique, quelle réforme » ?

Le colloque organisé par le CEJEM a réuni un important public de professionnels et d’étudiants spécialisés dans les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication afin de présenter les difficultés actuelles rencontrées par le droit d’auteur dans l’environnement numérique.

A ce titre, Christophe Caron, Professeur à la Faculté de droit de l’Université Paris XII, débute en rappelant les divergences entre le droit des usagers et le droit de la propriété intellectuelle. Dans ce contexte, largement influencé par le mythe de la gratuité sur l’internet, il s’agit de savoir si une redéfinition du droit d’auteur est nécessaire. Le Professeur Caron souligne l’intérêt des mesures techniques de protection qui améliorent le contrôle de l’auteur sur son œuvre lorsqu’elle est mise en ligne. Il critique, comme la plupart des intervenants du colloque, le système actuel de répartition des sommes perçues au titre de la rémunération pour copie privée. Il conclut sur le fait qu’une refonte complète du droit d’auteur dans l’environnement numérique n’est pas nécessaire mais qu’il faut trouver un juste milieu entre les intérêts divergents en présence.

Me Vincent Varet, avocat à la Cour, présente une étude comparative entre la directive 2001/29/CE et le projet de loi français de transposition. Il précise que le texte français est globalement conforme à la directive européenne. Il constate néanmoins certaines différences entre les deux textes. Me Vincent Varet rappelle que cette transposition introduit le test des trois étapes dans le droit français, alors que ce texte semble avant tout s’adresser au législateur lui-même. La protection juridique des mesures techniques est également consacrée dans les deux textes. Cette transposition française, globalement fidèle au droit européen, comporte néanmoins certaines infidélités à la directive communautaire.

Me Héloïse Deliquiet, avocat à la Cour, précise que le projet de loi français ne réglemente pas la copie privée mais légitime seulement les mesures techniques. L’utilisation du test des trois étapes dans la détermination de l’infraction semble être trop subjectif et défavorable à la copie privée. Me Héloïse Deliquiet souhaite une redéfinition claire du champ d’application de l’exception de copie privée. La limitation du nombre de copies préconisée par le projet de loi peut entraîner une confusion entre le système de copie privée et celui de copie de sauvegarde des logiciels. L’extinction de la copie privée pénaliserait les consommateurs et les titulaires de droits qui ne pourraient plus être rémunérés par la redevance correspondante.

Le Professeur Jérôme Huet, Directeur du CEJEM, s’interroge sur la nécessité de disposer de l’original de l’œuvre pour faire une copie privée. Il ne remet pas en cause la légalité des logiciels de Peer-to-Peer mais précise que ce mode d’échange devrait s’appauvrir avec la protection juridique des mesures techniques et l’exclusion du jeu de l’exception de copie privée pour les services en ligne. Il revient sur le terme de « rémunération » pour la copie privée qu’il faudrait remplacer par « compensation » pour que le mécanisme joue son rôle d’indemnisation du préjudice subi par les ayants droit. Il propose des solutions pour améliorer le fonctionnement du système.

Marie-Françoise Marais, conseillère à la Cour de cassation, insiste sur le problème du mythe de la gratuité sur l’internet et s’oppose à la tolérance généralisée des téléchargements au titre de la copie privée sur les réseaux Peer-to-Peer. Elle précise que l’intention frauduleuse, largement reconnue, ne permet pas de légitimer ce genre d’échanges.

Didier Huck, Vice-président de Thomson, présente les aspects techniques des mesures de protection. Les solutions logicielles sont peu efficaces alors que les solutions matérielles sont plus robustes mais nécessitent des investissements pour les industriels. Il faut que les mesures techniques efficaces soient appuyées par une légitimité juridique. Suite à ces conclusions, Didier Huck propose la solution de Thomson, appelée Smart Right, qui représente un système de clé propriétaire définissant les droits attachés avec une clé unique pour chaque réseau.

Julien Dourgnon, chargé de mission Commerce et NTIC de UFC que Choisir ?, rappelle les difficultés substantielles de copie à partir de supports différents alors qu l’œuvre originale a été acquise légalement. Il ne veut pas que la confusion entre la problématique de la copie privée et celle des abus de téléchargement entache les droits des consommateurs. L’utilisation de la licence légale représente une alternative intéressante pour légaliser les échanges Peer-to-Peer.

Me Olivier De Chazeaux, avocat à la Cour, présente le point de vue des politiques. Le législateur doit être soucieux des intérêts divergents : rémunération pour copie privée et lutte contre le piratage. Le projet de loi français privilégie, actuellement, l’utilisation de moyens de protection techniques et tolère la copie privée en la limitant. Il faudrait se concentrer sur la répression du piratage de masse mais également protéger le consommateur qui se comporte loyalement en autorisant toute copie privée pour l’œuvre acquise légalement.

Christophe Espern, représentant de EUCD.info, qualifie les mesures techniques de mesures de contrôle qui protègent, non pas le consommateur, mais seulement le producteur. Ces mesures de protection par le secret empêchent l’interopérabilité ; ce qui risque, à terme, de marginaliser les logiciels libres. La directive européenne protège juridiquement les mesures techniques car cela risque de s’avérer, en pratique, inefficace. Cette protection va également porter atteinte aux services de bibliothèques qui ne pourront plus accéder aux œuvres protégées. La France se trouve devant un choix de société : soit mettre en œuvre une politique de contrôle d’usage et de suspicion a priori, soit trouver un meilleur moyen pour rémunérer les auteurs.

Jean-Paul Ouin, directeur juridique de Philips, présente le point de vue des industriels qui font désormais une grande partie de le leur bénéfice sur la propriété industrielle et intellectuelle. Il précise que la piraterie « des fourmis » largement développée par les réseaux Peer-to-Peer est réellement préjudiciable aux industriels. Il faut protéger la copie privée dans les systèmes où l’intention frauduleuse n’existe pas. De même il faut élargir l’assiette de la rémunération pour copie privée aux autres périphériques informatiques grand public.

Me Patrick Boiron, avocat à la Cour, explique le système de gestion électronique de droits, ou DRM qui permet d’identifier et de décrire les contenus numériques protégés par le droit de la propriété intellectuelle, pour garantir les règles d’exploitation définies par les ayants droit ou la loi. L’inconvénient juridique de ce système est son empiétement possible sur les droits des consommateurs et le respect de la vie privée ; l’inconvénient technique est sûrement son manque de robustesse. Il ne faudrait pas cependant que les DRMS soient pris en otage par la problématique de la copie privée. Une conciliation entre les différents acteurs économiques des œuvres numériques semble donc nécessaire.

Jean Vincent, directeur des affaires juridiques et internationales de l’ADAMI, précise que la rémunération pour copie privée est un mode d’exploitation des œuvres, même si c’est une exception de droit. Il revient sur l’acquisition des droits des artistes interprètes pour les œuvres en ligne. Il critique la lenteur d’action du collège des médiateurs instauré par le projet de loi français. Une homologation préalable des mesures techniques serait plus efficace. Au niveau du Peer-to-Peer, seul l’upload est condamnable avec un encadrement nécessaire de cette bande passante montante.

Enfin, Pierre-Yves Gautier, Professeur à l’Université Panthéon-Assas de Paris II, présente une synthèse des travaux de ce colloque. Il insiste sur la nécessité d’une harmonisation européenne pour les droits d’auteurs dans l’environnement numérique. Il revient sur le manque d’objectivité du test des trois étapes qui entraîne notamment un double verrouillage des œuvres, en se superposant aux mesures techniques légitimées. Le Professeur Gautier condamne l’intention frauduleuse des éditeurs de logiciels Peer-to-Peer et de leurs utilisateurs. Il conclut par la nécessité de trouver un équilibre entre le droit de la propriété intellectuelle et le droit des usagers.

Colloque : « Droit d’auteur et numérique : quelle réforme ? » organisé par le CEJEM à l’Institut de droit comparé de l’Université de Paris II, le jeudi 12 février 2004.

Par Johann FLEUTIAUX, le 9 mars 2004